Gabon/dépénalisation homosexualité : Faustin Boukoubi appelle humblement à la compréhension des uns et à la tolérance des autres.

LIBREVILLE (Equateur) – Dans un entretien accordé aux médias, le président de l’Assemblée nationale, Faustin Boukoubi, revient sur la dépénalisation de l’homosexualité, qui suscite frustrations et appréhensions des gabonais qui continuent de protester. Une occasion pour le président du Palais Léon Mba de lancer un appel à la compréhension et à la tolérance.   

 

Monsieur le président, le Parlement en général, et l’Assemblée nationale en particulier, vient de boucler la première session ordinaire de l’année 2020. Quel regard jetez-vous sur cette session perturbée par la crise sanitaire causée par la pandémie à coronavirus ?

 

Faustin Boukoubi : Ce fut une session truculente, au cours de laquelle on a tout connu : une activité parlementaire intense, caractérisée par l’examen de textes considérés comme urgents ; la gestion des situations politico- judiciaires inédites concernant des collègues députés ; le stress consécutif à la propagation du coronavirus ; le confinement suivi du déconfinement ; et pour finir, des querelles justifiées par un choc des cultures dont on nous place malencontreusement au centre. Malgré tout, l’Assemblée a adopté plusieurs textes. C’est le cas du projet de loi portant modification du Code pénal.

 

 

La suppression de l’alinéa 5 de l’article 402, synonyme de dépénalisation de l’homosexualité, soulève un tollé dans l’opinion. Comment appréciez-vous ce débat ? L’orientation sexuelle a toujours suscité des débats houleux à travers le monde. Ce n’est pas de gaité de cœur que les populations d’un pays constatent l’intrusion de pratiques contraires à leur culture réputée fondamentale. Je concède que ces pratiques ne faisaient pas partie de nos us et coutumes, les cas relevés ici et là demeurant marginaux et honnis par la société. Cela, nous a amenés à reconnaitre que les frustrations et les appréhensions de nos concitoyens qui protestaient contre la dépénalisation de l’homosexualité étaient justifiées. Aussi avons-nous appelé humblement à la compréhension des uns et à la tolérance des autres.

 

 

D’aucuns, y compris au sein de votre parti le PDG, soutiennent, que dépénaliser ne signifie pas forcément légaliser. Qu’en pensez-vous ?

Il n’y a pas eu légalisation formelle ou explicite de cette pratique au Gabon. Il est certes vrai que l’absence de sanction peut être considérée comme une permissivité. Mais pénalités ou pas, cela ne changera rien aux yeux des tenants des considérations traditionnalistes qui désapprouvent ces nouveaux modes de vie dont certains tirent leur bonheur. Nous exhortons humblement nos compatriotes à éviter la stigmatisation.

 

 

Aujourd’hui les responsables des confessions religieuses, ceux des certains partis politiques et des syndicats, appellent au retrait pur et simple de ce texte. Il y en a même qui ont saisi la Cour constitutionnelle… Votre avis ?

Il y a quelques mois, des leaders de confessions religieuses ont tiré la sonnette d’alarme, demeurée sans échos. Ils sont donc cohérents. Le recours à la Cour Constitutionnelle est un droit conféré aux citoyens lorsqu’ils désirent que justice leur soit rendue. Cela traduit la vivacité de notre démocratie. La Haute juridiction constitutionnelle dispose d’assez d’atouts, notamment des ressources humaines de qualité, pour dire le droit. Nous attendons les décisions qu’elle rendra, qui nous engageront tous en définitive.

 

 

Sur la toile, nombre d’internautes condamnent fermement l’Assemblée nationale. Et, n’ayons pas peur des mots, Monsieur le président, certains s’en prennent même à votre personne…

S’agissant d’un sujet crucial de société, aucune sensibilisation préalable n’ayant été faite par les instances compétentes, le déchainement des internautes ne saurait donc nous surprendre. Les émotions s’expriment spontanément. On peut tout au plus déplorer les simagrées de ceux qui pourtant connaissent les procédures législatives et maitrisent aussi bien les réalités de notre pays. C’est peut-être de bonne guerre. Cette modification du Code pénal, un projet initié par le gouvernement et adopté en Conseil des ministres, a ensuite été examiné en urgence à l’Assemblée nationale, puis au Sénat. Seules l’émotion ou la subjectivité expliquent cet acharnement contre l’Assemblée Nationale qui n’est qu’un maillon de la chaîne de la procédure législative.

 

 

C’est peut-être l’occasion d’expliquer le rôle de l’Assemblée nationale dans le processus législatif, et celui de son président ?

Le Parlement, de manière générale, l’Assemblée nationale en particulier a pour rôle de légiférer. Il vote les lois, consent l’impôt et contrôle l’action du gouvernement. Les lois peuvent être initiées par le gouvernement, ou faire l’objet des propositions de Parlementaires. Dans la procédure législative, tous les projets ou propositions de textes sont préalablement examinés en Commission générale permanente. Celle-ci oriente la décision de la plénière générale au cours de laquelle seul le rapport de la Commission est présenté en vue de son adoption. Le rapport de la Commission est soumis au vote, qui se fait à main levée, donc en toute transparence. Les résultats, relevés par des scrutateurs au vu de tous les députés, ne peuvent pas faire l’objet de contestation. Le président de l’Assemblée nationale prend acte desdits résultats et les annonce officiellement, sans rien y changer.

 

 

Un autre article, suscite le courroux de la classe politique de l’opposition, l’article 267 qui pénalise toute personne susceptible de contester la filiation d’autrui… en avez-vous débattu à l’Assemblée?

S’agissant de l’article 267, il n’est pas nouveau. Dans la loi de 2019, il portait le n°418. Dans la pratique parlementaire, les discussions et les amendements ne portent en principe que sur les dispositions faisant l’objet de modifications dans le projet de loi. Ce n’était pas le cas.

 

 

Par rapport à ce débat sur le respect des mœurs, vous avez prôné l’organisation d’une réflexion, faisant allusion au pragmatisme et à la tolérance. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

Le pragmatisme conduit à prendre en compte les réalités. Cette disposition qui n’a été introduite dans notre corpus juridique que l’année dernière n’a jamais servi à qui que ce soit, pour dénoncer ou intenter une action en justice contre de présumés cas. Les emprisonner ou les pénaliser suffiraient ils à éradiquer ces pratiques ? Du reste, notre ouverture au monde ne nous épargne pas du mimétisme, voire de l’influence de la communauté internationale. Par tolérance, j’invitais chaque concitoyen à admettre que Dieu a créé de la diversité dans les êtres, les goûts et les couleurs. Nous devons respecter ceux qui sont différents et surtout éviter de les stigmatiser. Je sollicitais également la compréhension des concitoyens envers leurs élus, dont ils n’ignorent ni les profils, ni la probité. Sachez que l’examen d’une kyrielle de textes en fin de législature amène à les adopter en procédure d’urgence, sans pouvoir consulter des personnes idoines et la majorité de nos mandants, ni en débattre dans la quiétude. Qu’à cela ne tienne, il convient d’admettre que certains agissent par réalisme face aux enjeux, et d’autres par discipline partisane, nonobstant leurs propres convictions. En dépit des législations en vigueur dans les démocraties représentatives à travers le monde, lorsqu’un élu déroge aux orientations de son parti, il est considéré comme indiscipliné, voire dissident, même dans les vieilles démocraties. Dans un cas ou dans l’autre, il faut savoir raison garder. Enfin, j’invitais à des réflexions approfondies au sein de toutes les composantes de la société, en vue de concilier nos us et coutumes avec les nouvelles mutations sociétales inéluctables que nos concitoyens acquièrent par mimétisme ou par véritable besoin physiologique. L’Assemblée Nationale s’engage à cette réflexion.

 

 

Monsieur le président, nous sommes arrivés au terme de cet entretien. En guise de mot de fin, dites-nous un peu comment vivez-vous le climat sociopolitique ambiant, d’une part et, permettez-nous d’insister, ces attaques contre la personne de Faustin Boukoubi, d’autre part ?

Le climat sociopolitique ambiant est effectivement préoccupant et requière dextérité, tempérance, tolérance, en un mot, de la sagesse, par amour pour la patrie gabonaise. Incarnant l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur de diriger, je fais inévitablement l’objet de quolibets au nom de mes collègues. C’est évidemment choquant, pour mes proches et tous ceux qui ont de la considération à mon égard. Heureusement qu’ils connaissent ma moralité. Toutefois, ma posture ne consiste qu’à prôner humblement et de manière responsable, l’accalmie en cette période sensible où la relance de l’économie nécessite la cohésion sociale. La préservation, voire la création d’emplois et la construction du pays en dépendent.

 

 

James RHANDAL (Source : Assemblée nationale)

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